Les domaines où la réussite est possible et visiblement exigée s’étirent sans relâche. Et ça me tend. Je m’explique. Le foisonnement de partages de recettes pour atteindre l’épanouissement – Graal de notre époque – nous confronte en permanence à l’infinité des sujets qui méritent nos efforts si l’on veut, nous aussi, être heureux.
Et devinez quoi : on veut. Chaque parcelle de la vie quotidienne est concernée, nous laissant avec le sentiment qu’on peut (qu’on doit ?) tout améliorer. Faire ses courses, cuisiner, faire pousser ses courgettes, élever ses enfants, faire du sport, ranger son intérieur, travailler, être aligné, respirer, dormir, se déconnecter, se reconnecter. La liste ne s’arrête jamais. En filigrane s’insinue la petite musique de la performance. Il faut performer, c’est-à-dire suivre des feuilles de route, des méthodes, des indicateurs : y’a un tuto, y’a une appli. Et il faut performer, c’est-à-dire donner à voir, mettre en scène, être validé : y’a les réseaux. Ça me donne le sentiment d’un gigantesque système de Ponzi, qui nous transforme en Sisyphe irrémédiablement insatisfaits de nous-mêmes. Car poursuivre tous ces objectifs, sur tous ces sujets cumulés, dans des journées de 24h, c’est strictement inhumain. On le pressent mais, comme on sait qu’ils existent, c’est pas fastoche d’admettre l’échec par forfait. Par exemple, jusque récemment, je me levais à une heure non-héroïque et j’entamais ma journée par des gestes d’une banalité confondante. Naïve que j’étais ! La recette du bonheur tient justement dans la mise en place d’une discipline tellement simple : le Miracle Morning ! Il suffit de se lever à l’aube pour accomplir mille choses formidables et démarrer ainsi sa journée avec l’esprit aiguisé et le corps alerte. Sauf que. Sauf que perso, je ne suis pas du matin. Et que collectivement, on a sans doute plus besoin de dormir que de performer dès potron-minet, mais c’est un autre sujet. Et que par ailleurs, avoir la possibilité de mettre en place une telle routine n’est pas donné à tous, ce qui est encore un autre sujet. Donc, plutôt que de m’infliger en vain cette micro-tyrannie de la win matinale, plutôt que de laisser sourdre en moi-même un confus sentiment de lose quand le réveil sonne à 7h, je me questionne. Si j’ambitionnais l’échec matinal, ne serait-ce pas une belle réussite ? Un exploit en forme de pied de nez réitéré chaque jour, dont je ne me vanterais même pas sur Insta, c’est vous dire. Car viser la lose, ça ne me fait pas peur.
Sur ce jeu de mots pourri – l’autre passion dans ma vie après la grasse matinée - je vous laisse avec cette photo de Michel Poulnareff, croisé récemment et visiblement outré.
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